Conférence de Isabelle Krzywkowski dans le cadre du colloque « L’influence souterraine de la science sur la littérature et la philosophie (et réciproquement) »
Cette communication s’intéresse au motif du virus dans la poésie contemporaine. La métaphore biologique que l’usage applique aux technologies informatiques a en effet été considérée de manière littérale par un certain nombre d’artistes du tournant des XXe‐XXIe siècles (parmi lesquels, en France, Olivier Quintyn, Christophe Hanna ou Xavier Malbreil, dont on présentera le travail plus en détail si le temps le permet), qui théorisent à partir du virus la pratique et l’enjeu de la littérature.
On rappellera d’abord que ce motif traverse en fait les avant-gardes : on le trouve chez Marinetti ou Tzara, chez lesquels il entre en concurrence avec des métaphores plus traditionnellement combatives (le «rapport des forces»); il innerve aussi la définition que Roman Jakobson donne de l’action poétique; il est, enfin, théorisé par William Burroughs dans les années 1960 (The Ticket That Exploded, 1962;The Electronic Revolution, 1970). On pourra rapidement réfléchir sur cet historique: la concurrence entre imaginaire de la contagion et imaginaire de la guerre (qu’on trouve encore aujourd’hui dans les dénominations de «hacking» ou de «guerilla artistique»); l’élargissement que propose Burroughs avec sa thèse de la langue comme virus; le développement qu’en font les théories de la communication dans les années 1970; la nouvelle vitalité que lui donne la génération poétique des années 1990, notamment avec l’apport du numérique.
On fera ainsi le point sur les références scientifiques (mais aussi bien en sciences humaines) qui sous tendent parfois ces textes: Burroughs fournit une liste des références (Wilson Smith, Belyavin), dont certaine peut être imaginaire. Mais, pour la génération des années 1990, la référence semble médiate, via Burroughs et via les théories et les techniques de l’information et de la communication–ce phénomène de «médiation» (plutôt que de «seconde main») entre sciences et littérature étant aussi intéressant à mentionner.
On s’intéressera enfin à l’image du virus. D’une part, il prend place dans une logique «invasive» qui permet de confronter divers modes imaginaires (la guerre, la contamination, le parasite, le réseau, etc.). D’autre part, il est aujourd’hui à la jonction des sciences et des techniques, et l’on pourra se demander s’il y a lieu de distinguer ces univers de référence. Enfin, le motif du virus nous permet de voir comment, à côté de la métaphore, le recours scientifique peut devenir modèle: il sert à définir une visée, une pratique, et souvent même une forme. En cela, il y aura lieu de revenir sur la notion de poésie expérimentale, qui est au cœur de la démarche avant-gardiste.
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Cursus :
Isabelle Krzywkowski est professeur de littérature générale et comparée à l'Université Stendhal Grenoble 3 et directrice du Centre de Recherche sur l’Imaginaire (CRI). Après une thèse sur Le Jardin des songes, une étude sur la symbolique du jardin dans la littérature et l'iconographie fin de siècle en Europe, elle a orienté ses recherches vers les avant‐gardes historiques.
Cliquer ICI pour fermerDernière mise à jour : 03/12/2014