Conférence de Thierry Gineste, "L’enfant sauvage de l’Aveyron, de la bonne nature humaine à la pulsion de destruction : une fracture dans la Révolution" lors du colloque "Les enfants sauvages" organisé par Déborah Lévy-Bertherat et Mathilde Lévêque du département Lila ENS.
Étudiant en médecine à Paris entre 1797 et 1803, sous l’enseignement de Pinel — fondateur de la psychiatrie occidentale —, Itard rencontre l’univers de la maladie mentale au moment où il prend en charge l’enfant connu depuis sous le nom de Sauvage de l’Aveyron alias Victor.
À partir d’une réflexion sur la Terreur, il découvre que « l’homme est tout entier dans l’aliéné », ce qui implique que l’aliénation soit toute entière dans l’homme normal, nommément Robespierre. Levier thérapeutique, cette découverte finira par l’acculer au renoncement à son entreprise.
La Terreur, mère archaïque vénéneuse ; Victor portant une cicatrice de décollation par arme blanche ; Itard, unique survivant d’une fratrie de cinq, instruisant dans le secret de son imaginaire les crimes d’une mère incapable de maintenir ses enfants en vie : ces fraternités épouvantables ont ouvert à une révolution psychologique à l’opposé d’Emile, la plus folle vaticination éducative du XVIIIe siècle, dans laquelle Rousseau expose sans pudeur son identification à sa mère, morte en le mettant au monde, mère abandonneuse, mère sadique.
À l’opposé des bonnes intentions diaboliques de Rousseau dont le projet panoptique se fanfaronne promesse de liberté pour son élève, Itard a compris au contact quotidien de Victor quel obscur levier travaille dans l’intimité des êtres à détruire les liens, à diviser les choses. C’est aussi ce à quoi aura été confrontée Susan Curtiss dans sa prise en charge puis sa biographie de Genie, enfant sauvage découverte en Californie dans les années 1970, qu’elle n’aura pas édulcorées des conflits et des haines qui s’y développèrent, mandragores fleurissant comme des auxiliaires de la pulsion de destruction dont Freud s’acharnera à décrire les ravages jusqu’à son dernier livre.
L’histoire de l’enfant sauvage de l’Aveyron apparaît ainsi comme celle du renoncement courageux et désespéré à l’illusion aliénante de la bonté naturelle de l’homme.
Voir aussi
|
Cursus :
Thierry Gineste est médecin spécialisé en psychiatrie et historien de la psychiatrie. Il est le co-fondateur de la Société internationale d'histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse. Il est également l’auteur de nombreux travaux scientifiques portant particulièrement sur la psychiatrie infanto-juvénile. Son ouvrage Victor de l'Aveyron: dernier enfant sauvage, premier enfant fou (Paris, Le Sycomore, 1981), comportant un dossier complet sur le cas, a été réédité de nombreuses fois (Hachette, Poche Pluriel, 2011).
Cliquer ICI pour fermerDernière mise à jour : 29/01/2016