Exposé de Alexandre Fontaine lors de l'inauguration du Centre européen d’études républicaines (CÈDRE).
Dans les années 1880, Félix Pécaut, alors directeur de Fontenay-aux-Roses et figure tutélaire de la morale républicaine, déclarait se méfier du zèle que l’on montre à étudier les pays étrangers pour leur emprunter ce qu’ils ont de mieux en matière de pédagogie, au risque « d’égarer le génie français par ces imitations exotiques et contre nature ».
Si ce repli sur la tradition et l’invocation d’un « génie national » s’articulent dans le contexte de la construction des identités nationales, les récents développements de l’histoire transnationale révèlent une tout autre réalité. Dès la fin du XVIIIe siècle, missions scolaires, réseaux philanthropiques et presse d’éducation permettent une intense circulation des idées et des pratiques éducatives, ce mouvement s’accélérant encore suite à l’avènement des congrès internationaux et des expositions universelles dès 1851.
Ainsi et comme l’a souligné Anne-Marie Thiesse, le processus de formation des « communautés imaginées » est fondé sur son propre déni. L’élaboration transnationale de nos systèmes éducatifs n’a rien de l’évidence, puisque chaque système, qu’il soit national, cantonal ou régional, a globalement profité et importé les innovations des autres – soit les plus efficientes venant très souvent du Nord de l’Europe – tout en les particularisant et en les réinterprétant afin de leur donner un caractère local. En d’autres termes, ces processus complexes s’apparentent à ce que l’on pourrait entrevoir comme une « standardisation silencieuse » des savoirs scolaires. Il suffit d’ailleurs de jeter un œil au Catalogue noir mis en place par Ferdinand Buisson dès 1886 pour se rendre compte que cette compilation de dizaines de milliers de références étrangères (ouvrages, plans d’études, rapports, manuels) a servi de socle théorique et pratique à l’école de la Troisième République.
Cette contribution aura pour objectif de proposer une série de jalons plaidant pour une histoire connectée des républicanismes. En se focalisant sur les transferts de savoirs (scolaires) opérés par les proscrits français établis dans le repli suisse suite au 2 décembre 1851, il s’agira d’analyser les mécanismes et les vecteurs de transferts culturels qui ont œuvré à la translation de certaines méthodes pédagogiques vers Paris. Car si l’histoire façonnée par les historiens nationaux devait par essence célébrer le cadre national comme un Sonderfall, un cas particulier, cette intervention cherchera plutôt à éclairer et à rétablir des connexions délaissées, afin de rompre avec les compartimentages et souligner la construction collective et partagée des républicanismes, comme des systèmes éducatifs qui ont largement servi à en asseoir l’idéologie auprès des masses.
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Cursus :
Alexandre Fontaine est chercheur FNS Senior à l'Institut d’études politiques, historiques et internationales et au Centre Walras Pareto d'études interdisciplinaires de la pensée économique et politique.
Ses sujets de recherche sont : circulation des savoirs ; éducation ; exils politiques ; histoire suisse ; métissage ; tirage au sort ; transferts culturels.
Il a reçu le prix Louis Cros de l'Académie des sciences morales et politiques (Institut de France) en 2015. Décerné par l'Académie des sciences politiques et morales (Institut de France) pour « Aux heures suisses de l'école républicaine : un siècle de transferts culturels et de déclinaisons pédagogiques dans l'espace franco-romand » (Demopolis Paris, 2015)
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