Exposé de Franck Varenne (Université de Rouen, Département de philosophie, ERIAC EA 4705) dans le cadre du Séminaire Cavaillès (Histoire et Philosophie du vivant) organisé par la République des Savoirs à l'ENS-PSL.
Nous entrons sans aucun doute dans l'ère de la modélisation multi-échelle en biologie, en particulier en biologie du développement. Les défis sont nombreux et importants (Hasenauer et al., 2015). L'un d'entre eux repose sur ce qui est apparu comme un questionnement nécessaire à tout projet de modélisation : qu'est-ce qui vient en premier ? Quels sont les éléments constitutifs du modèle ? S'agit-il de concepts ou de données ?
Cet exposé se concentrera sur ce défi spécifique. A partir de l'analyse d'exemples précis, je soutiendrai l'idée que dans le nouveau contexte de la modélisation multi-échelle, cette question préliminaire impose une alternative trop grossière lorsqu'elle est posée d'un point de vue trop global appelant une réponse binaire. En effet, la modélisation multi-échelle doit non seulement se concentrer simultanément sur différentes échelles, mais, pour cela, elle doit également mettre en œuvre simultanément différents types de sources de connaissances, c'est-à-dire notamment des concepts et des données. La plupart du temps, un projet de modélisation multi-échelle doit faire des allers-et-retours entre les concepts et les données, de manière à entrelacer avec précaution les modèles "pilotés par les données" (data-driven) et ceux "pilotés par les concepts" (concept-driven), que ce soit aux mêmes échelles ou à différentes échelles.
En outre, selon les échelles, les concepts des modèles "pilotés par des concepts" peuvent avoir eux-mêmes deux portées épistémiques distinctes. Les modèles pilotés par des concepts ontologiques sont fondés sur l'ontologie des éléments de l'échelle, tandis que les modèles pilotés par des concepts théoriques sont fondés sur les théories disponibles appartenant à la discipline la plus connue ou la plus performante à cette échelle. Face à cette autre dualité, les questions liées au statut épistémiques des données (par exemple : s'agit-il de mesures ou de paramétrisations ad hoc ? sont-elles biologiquement signifiantes ou non ? etc.), ne peuvent donc pas être résolues uniformément pour tous les sous-modèles d'un même modèle multi-échelle.
Par conséquent, nous devons développer, tester et enseigner une méthodologie plus explicite et plus consciente de cette alternance contrôlée de concepts (selon qu'ils sont fondés sur l'ontologie ou sur la théorie) et de données si nous voulons mieux interpréter ce domaine interdisciplinaire de la modélisation multi-échelle qui connaît une croissance rapide.
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Cursus :
Franck Varenne est maître de conférences en épistémologie à l'Université de Rouen depuis 2005 et chercheur rattaché à l'ERIAC.
Il est chercheur associé à l'IHPST (UMR 8590 - Institut d'Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques) depuis février 2018. Il fut auparavant chercheur au GEMASS (UMR 8598 - Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne).
Ses recherches portent sur l'épistémologie et la pratique des modèles mathématiques et de la simulation informatique dans les sciences.
Cliquer ICI pour fermerDernière mise à jour : 27/06/2024