Alors que, depuis le XIXe siècle, le poète et le peintre font figure d’alliés substantiels, pour reprendre la célèbre expression de René Char, la sculpture semble avoir été étrangement négligée par les écrivains. L’abondance des écrits suscités par l’oeuvre de Rodin ou de Giacometti paraît ainsi une exception remarquable. Ce relatif dédain correspond à celui du public, la rareté des textes critiques reflétant alors une réalité du goût et du champ artistique.
Mais au-delà, il faut s’interroger sur ce qui, dans la sculpture, peut limiter l’accès à la parole et, au contraire, sur ce qui sauve certaines oeuvres du silence critique. La matérialité et l’échappement à l’ordre temporel qu’est celui du discours paraissent d’abord repousser l’écrit. Art spatial contre art temporel : c’est là l’opposition posée par Lessing, et la sculpture représente un défi plus grand encore pour l’écriture que la toile peinte.
Bien souvent, critiques d’art professionnels ou écrivains temporalisent la sculpture, la déploient par la description ou la narration, déclinant ses aspects ou racontant la fable dont elle fige un moment : vivante et mouvante, la sculpture danse, jaillit, tourne sous la plume. Mais parfois, le regard s’affronte à sa dureté, s’y heurte et s’y déchire, fasciné ou horrifié : sa résistance vient alors incarner une étrangeté radicale, inquiétante révélation d’un autre. La sculpture, ce tangible, cet immobile, semble toujours produire un déplacement du verbe, s’y faisant objet invisible, dont le nom même finit par échapper.
Voir aussi
|
Cursus :
Delphine Vernozy est allocataire monitrice à UFR Littérature française et comparée de l'université Paris-Sorbonne.
Cliquer ICI pour fermerDernière mise à jour : 12/01/2012