Conférence de Raphaël Liogier extraite du Colloque du PhilMaster ENS / EHESS "La philosophie face à ses autres".
Organisé par Martin Fortier et Raphaël Millière.
Il s’agira pour nous de présenter les grandes thèses touchant à l’altérité, que nous développons dans notre dernier ouvrage : Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? (2012). En voici les axes principaux d’investigation : Chaque expression de la diversité rencontrée dans le monde est comme un panneau indicateur menant à la vérité individuelle, ce sont des expériences positives. Le croyant postindustriel se reconnaît ainsi dans la figure du touriste, non seulement du touriste en vacances au sens strict, mais de l’être qui se cherche perpétuellement dans les expériences de l’altérité. De sorte que ce n’est pas l’altérité en tant que telle, la vie propre de l’autre, qui compte mais de faire l’expérience vers elle comme un détour rituel vers Soi. L’autre n’est vraiment toujours qu’un alter ego de plus. Les lointains infinis ramènent à l’intimité individuelle. Les modalités de ces voyages sont multiples : voyages vers la nature, vers le sauvage, vers l’origine, vers l’antiquité, et parmi eux, voyage en Orient bien sûr. S’il est un discours simultanément savant et vulgaire, à la fois élitiste et généralisé, au coeur de la dynamique individuo-globale, c’est bien celui qui narre l’Extrême-Orient, qui n’est plus un espace géographique situé mais l’instance stratégiquement du passage de l’idéal cosmique finitiste au sentiment océanique infinitiste, et du passage de l’idéal traditionnel de la personne à la culture de Soi individualisée.
Lieu fictif, lieu d’encodage, l’Extrême-Orient est un des points d’origine imaginaire de l’individuo-globalisme, par conséquent un produit historique occidental, remontant au début de l’extériorisation culturelle de l’Europe à la fin du XVème siècle. Processus d’extériorisation qui a pu être brutalement politique et économique (à la suite de la découverte du Nouveau Monde, que cet autre monde soit asiatique ou américain), mais qui s’est aussi traduit, simultanément, par une subtile mutation intérieure de la culturelle européenne, dont le premier résultat structuré et stabilisé (intellectuellement et sentimentalement) s’incarne dans le romantisme. Depuis la découverte du Nouveau Monde, les mondes se sont multipliés et relativisés (ils sont entrés en relation). Aujourd’hui, l’Orient est à domicile, les mondes se mêlent globalement, et l’individu voyage de l’un à l’autre sans forcemment partir physiquement. Il se transporte sans cesse vers d’autres horizons d’authenticité, qui souvent sont proposés dans son quartier ou au moins dans sa ville. Il se transporte pour se transformer, pour se changer, mais nullement pour devenir l’autre, pour s’acclimater à l’autre, mais pour être plus lui-même.
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Cursus :
Raphaël Liogier est professeur de sociologie à Sciences-Po Aix en Provence où il dirige l'Observatoire du religieux.
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