Conférence de Jean-Yves Carrez-Maratray donnée au cours de la journée d’études organisée par Anca-Cristina Dan et Jean Trinquier avec le soutien de l’EA « Rome et ses renaissances », de l’UMR AOROC et du Labex TransferS.
Roger Bagnall dans Rethinking the Mediterranean se plaint à juste raison du peu d’usage que font les chercheurs actuels de l’«exemple égyptien» (voire de la méconnaissance qu’ils en ont) pour les problématiques méditerranéennes. En cela, ils ne font que reproduire, mutatis mutandis, des présupposés, pour ne pas dire des préjugés antiques, sur l’Égypte, cette terre à part que l’on laisse volontiers entre les mains des « égyptologues » et autres « papyrologues ». Il est significatif de noter que, dans les années passées, on s’est plus interrogé sur l’africanité de l’Égypte que sur sa « méditerranéité » (quitte à en revenir depuis quelque temps).
Pour les Grecs, l’Égypte a cela d’original qu’elle n’est pas à proprement parler un « pays barbare » (même si l’on ne saurait ignorer l’existence d’une certaine égyptophobie grecque, trop souvent occultée par la lecture univoque d’Hérodote l’« égyptophile »). Mais cela ne fait pas pour autant d’elle un pays « normal » et, pourrait-on dire (ce postulat serait à vérifier), en quittant le pays de « Barbarie », elle s’enfonce dans celui d’« Utopie », ce qui n’est guère mieux, au moins pour l’historien des realia.
Les Anciens se sont-ils posé notre question ? Non (en tout cas cela dépend de la réponse à la question même de la journée d’étude : le concept existait-il à leurs yeux ?), mais ils l’expriment à leur insu dans leur rapport à l’accès au pays. Le topos par excellence à ce propos est le vers d’Homère repris quasi mécaniquement par Strabon : « Aller en Egypte, long et périlleux voyage ! ».
L’idée à laquelle nous aboutissons, à l’issue de travaux récents menés sur le sujet de l’interface littorale deltaïque (parus ou à paraître, et que nous nous contenterons de proposer et de résumer à la table ronde), est celle de l’importance du concept d’insularité de l’« Egypte méditerranéenne » des Grecs et des Romains, celle-ci se trouvant de facto ramenée au « Delta ». Celui-ci fut toujours plus ou moins conçu comme un espace à part, depuis les Ioniens « qui prétendent que le Delta seul est l’Égypte » (Hérodote, II, 15), jusqu’à Antinoos auquel le Nil a fait présent, à sa mort, d’« une île » qui n’est pas, comme on l’a cru, le nome Hermopolite de Moyenne Égypte, mais bien cette « Egypte méditerranéenne » dont Hadrien fit l’aboutissement final de son Canope de la Villa Hadriana.
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Cursus :
Jean-Yves Carrez-Maratray est professeur d'histoire et d'archéologie des mondes grecs classiques et hellénistiques à l'Université d'Angers,co-directeur, avec Mohamed Abd el-Maksoud et Charles Bonnet, de la Mission archéologique égypto-franco-suisse de Tell el-Farama (Péluse), zone sud-est. Il est membre du conseil de laboratoire de la composante Mondes pharaoniques de l'UMR 8167 CNRS Orient et Méditerranée et co-responsable, avec Guillaume Charloux, dans l'Axe A, "Religions, lieux et conflits", du sous-axe A2, "Paysages et édifices", du projet Labex RESMED.
Cliquer ICI pour fermerDernière mise à jour : 18/01/2013