« Les temporalités du deuil dans le présent 1/3 ».
Première séance d'un cycle de trois conférences de philosophie contemporaine données par Judith Butler à l'ENS sur « Les temporalités du deuil dans le présent ».
La conférence est suivie d'un échange avec Alison Bouffet (Paris Cité / Lille), Jean-Claude Monod (CNRS) et Frédéric Worms (ENS-PSL).
Dans ces trois interventions, Judith Butler cherche à montrer que de nouveaux cadres temporels sont nécessaires pour penser le deuil et la pleurabilité des vies dans nos conditions historiques, marquées notamment par les effets destructeurs du changement climatique. On présuppose en général que le deuil fait suite à la perte d’êtres humains ou bien d’objets, une perte qui a déjà eu lieu. Mais comment décrire cette situation où nous voyons des espèces et des formes de vie disparaître en même temps que nous anticipons d’autres disparitions à venir ? Pour Judith Butler, il est nécessaire de rompre avec l’anthropocentrisme et de mettre en avant l’interdépendance entre les vivants. Son objectif est de clarifier et prolonger ses analyses sur la « pleurabilité » des vies afin d’englober non seulement les êtres vivants et les processus vitaux qui ont déjà été perdus, mais aussi ceux qui sont encore en vie. En élargissant la pleurabilité au-delà des limites de l’humain, Butler entend dégager une nouvelle orientation conceptuelle qui permette de résister non seulement au changement climatique, mais aussi aux disparitions accélérées qui caractérisent les guerres contemporaines.
En prenant pour point de départ les analyses de Freud consacrées au deuil et à la mélancolie, Butler s’attache également à revisiter des textes de Derrida sur le travail du deuil, les considérations de Merleau-Ponty sur la temporalité et la passivité, ou encore le rapport critique de Barthes à la phénoménologie, pour montrer comment ces auteurs nous donnent des outils qui permettent de réorienter notre réflexion sur la temporalité, le deuil et la pleurabilité des vies.
Dans des conditions historiques où la perte n’est jamais terminée et reste toujours à venir, comment le passé, le futur et le futur antérieur doivent-ils être redécrits ? Face aux destructions en cours, notre responsabilité selon Butler est non seulement porter le deuil des vies perdues, mais aussi élargir le domaine des vies qui sont susceptibles être pleurées. En outre, il est nécessaire d’imaginer et de résister à ces destructions en cours afin d’éviter une catastrophe encore plus démesurée. De nombreuses temporalités convergent dans ces situations où se conjuguent la perte et l’indignation. C’est pourquoi nous devons repenser les séquences temporelles impliquées dans les récits traditionnels du deuil et de la perte, afin de mieux saisir le caractère multitemporel des destructions actuelles, et surtout de mieux y résister.
Ces conférences sont organisées dans le cadre des activités de l’UAR 3608 République des savoirs. Elles se tiennent en écho à l’invitation intellectuelle de Judith Butler au Centre Pompidou pendant la saison 2023-2024.
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Institutions : Ecole normale supérieure-PSL
Cursus :
Alison Bouffet, ancienne élève de l'ENS-PSL, est doctorante en philosophie à l'Université Paris Cité (LCSP), ATER à l'université de Lille.
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Cursus :
Judith Butler (née en 1956 à Cleveland) est philosophe américaine, professeur au département de rhétorique et de littérature comparée de l’université de Berkeley.
Depuis quelques années, ses travaux sur le genre sont pleinement reconnus en France à la suite, notamment, d’un colloque tenu en 2005 à l’ENS et de la traduction, quinze ans après sa publication aux États-Unis, de Trouble dans le genre (La Découverte, 2005).
Judith Butler utilise, critique et poursuit les travaux de Derrida, Deleuze et surtout Foucault pour construire une théorie des identités sexuelles également appuyées sur une élaboration du concept austinien de performatif. Dans les années 2000, et depuis le 11 septembre 2001 notamment, elle a élargi son horizon à des questions plus universellement politiques comme, par exemple, celle de la constitution des vies humaines en tant que telles (Vie précaire, Amsterdam 2005) ou l’inégalité des vies humaines telles que les médias les présentent et les font être (Frames of War: When is Life Grievable?, Verso 2009).
Elle a été membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009.
Ses publications les plus récentes incluent Ce qui fait une vie (La Découverte, 2010), Rassemblement (Fayard, 2016), La Force de la non-violence (Fayard, 2021), Le vivable et l’invivable, en conversation avec Frédéric Worms (PUF, 2021), et enfin Dans quel monde vivons-nous ? Phénoménologie de la pandémie (Flammarion, 2023).
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Cursus :
Jean-Claude Monod est directeur de recherches au CNRS (UMR 8547, Pays germaniques / Archives Husserl, CNRS / ENS / PSL). Parmi ses publications : La Querelle de la sécularisation. Théologies politiques et philosophies de l'histoire, de Hegel à Blumenberg, Vrin, 2002, 3e éd.; Qu'est-ce qu'un chef en démocratie? Politiques du charisme, Seuil, 2012, rééd. "Points"; L'art de ne pas être trop gouverné, Seuil, 2019 ; - (éd.), Dictionnaire Lévi-Strauss, Bouquins, 2022, Prix littéraire de la Fondation Martine Aublet.
Cursus :
Frédéric Worms est philosophe, professeur d'histoire de la philosophie moderne et contemporaine. Il est directeur de l'Ecole normale supérieure de Paris et directeur de l'école et membre du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine – PhilOfr à l'ENS.
Spécialiste de l'œuvre d'Henri Bergson, il travaille également sur l’histoire de la philosophie du XXe siècle en France et s’intéresse à la question des relations vitales et morales aujourd’hui.
Cliquer ICI pour fermerDernière mise à jour : 07/03/2024